Véronique Cauchefer est une artiste peintre qui s’inscrit dans l’esprit de son temps et, à ce titre, elle revendique, haut et fort, sa contemporanéité. L’art contemporain, en effet -pour reprendre les propos du critique et philosophe américain, Arthur Danto - a fait volé le concept en éclats, et, corrélativement, l’art s’est fait philosophie. L’ouverture à la pluralité formelle aura eu, toutefois, pour mérite, de permettre aux tenants de la couleur de capitaliser sur ce que leurs pères, les modernistes, avaient établi. C’est bien dans cette mouvance qu’il s’agit d’aborder l’œuvre de Véronique Cauchefer. Ainsi se passionne-t-elle pour des artistes tels que Corneille du groupe Cobra ou encore, David Hockney, l’une des figures prédominantes du Pop Art qui ont su, par la puissance de leur jeu chromatique, réhabiliter la notion de plaisir pur, celle qui permet au regardeur de dire qu’une œuvre est belle parce qu’elle le touche au point de le ravir.
Très jeune, elle développe une appétence évidente pour les coloriages qu’elle exécute à partir d’images religieuses. Issue d’un milieu aisé qui permet les moyens de ses aspirations, Véronique baigne dans un univers artistique dès son enfance, et peut ainsi aiguiser son goût pour le beau. Dès lors, elle ne cessera d’osciller entre des périodes investies par la vie profane, propre à occlure toute créativité, et d’autres époques plus fécondes. Ses premières périodes s’apparentent à une incubation où elle s’exerce d’abord à la peinture sur bois, ayant reçu en cadeau une boîte d’huiles ; prenant des cours de peinture, elle s’initie ensuite aux genres du portrait et du paysage, traduisant une maîtrise certaine de la mimesis. C’est après s’être formée à l’école des Beaux-Arts de la ville de Paris, qu’elle opère une rupture frontale avec le style précédent pour donner libre cours à une créativité tant prolifique qu’originale. Ainsi son imaginaire renoue-t-il avec la petite fille, déjà sensibilisée par les ambiances d’intérieurs puisque sa mère tenait un magasin de décoration, que viendra renforcer sa passion pour les magazines d’art et décoration qu’elle compulse régulièrement.
Cette nouvelle période se décline en une succession de tableaux d’intérieurs, chacun arborant une prédominance de ton qui lui est propre. Aucune provocation ici, mais une immersion progressive de notre regard dans l’univers onirique de l’artiste. La forme ne sert qu’à planter le décor ; d’un point de vue formel, la scène varie peu ; c’est d’abord une succession de salons, chambres, alcôves, tentures ou tapisseries, ou encore plafonds richement décorés, dont les motifs émanent du traitement de coulures jetées sur la toile par le geste créatif, qui encadrent un mobilier art-déco plus contemporain. En subvertissant le code des couleurs, l’artiste nous intrigue autant qu’elle nous émerveille. C’est presqu’un travail de séries qui se donne à voir ici, où une pluralité chromatique éblouissante vient égayer la monochromie prédominante de chaque exécution, traduisant ainsi une volonté d’épuiser psychiquement toutes les potentialités de la couleur. C’est bien elle, en effet, qui imprime l’ambiance de chaque tableau, nous appelant à goûter, le temps d’un regard, un univers où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Notre imagination, reine de nos facultés, nous entraîne alors vers un ailleurs, une altérité que chacun pourra identifier en fonction de ses propres références mais qui, sans aucun doute, se nimbe d’une tonalité que l’on trouve aussi bien dans les motifs matissiens que dans les azulejos portugais, ou encore dans les intérieurs luxueux d’hôtels particuliers du 19ème siècle très marqués par l’avènement de l’Art Nouveau en Europe - cette tonalité même que Baudelaire évoquait dans l’Invitation au voyage. Reste que ce voyage onirique nous ravit d’autant que ces intérieurs sont tous agrémentés d’une végétation luxuriante qui finit par prendre l’ascendant dans une deuxième série consacrée aux extérieurs ; car pour Véronique, le végétal et l’eau sont l’essence même du vivant mais cette incursion dans l’exubérance tropicale n’est pas sans raviver ce tumulte émotionnel qui accompagne toute quête initiatique, cette dualité dont l’art nous rappelle inlassablement qu’au-delà du visible se déchaînent les forces chtoniennes de l’invisible. A l’émerveillement que suscite le premier regard, c’est bien l’angoisse devant l’inconnu qui affleure, et les formes qui se distinguent plus franchement de la toile de fond, confèrent, par leur statisme, l’impression de l’imminence d’un cataclysme.
Peu à peu les décors richement travaillés font place à des aplats dépouillés de toute fioriture et sur le vide de l’inanimé se greffent des corps de jeunes filles souvent pubères, toujours accompagnés d’animaux issus d’un bestiaire restreint mais fort de symbole. Si l’oiseau fait indubitablement signe vers Corneille, il nous rappelle la force symbolique du féminin omniprésent dans l’œuvre de l’artiste. Quant au serpent, sa présence subreptice veille au bon déploiement de la vie et donc de l’oeuvre. Au fil du temps, le style évolue, les couleurs deviennent plus acidulées, à l’instar de celles de David Hockney et une perspective imparfaite est là pour nous rappeler que nous sommes toujours en présence d’un ailleurs, même si celui- ci se fait plus prosaïque, marqué, au détour d’exécutions, par la présence incongrue d’un appareil photo, d’un ordinateur, d’un téléphone ou encore d’un poste de télévision.
Aujourd’hui l’artiste semble embrasser les problématiques chères au mouvement de la figuration narrative. Si l’envoûtement suscité par le jeu chromatique joue toujours à plein, le regard s’intéresse plus à la narration dont la trame s’élabore à partir d’éléments hétéroclites à première vue, mais dont la coprésence construit le récit, répondant ainsi à l’aporie que représente le rendu de la dimension temporelle par le statisme de la représentation picturale. Ainsi se déclinent de nombreuses scènes de la vie quotidienne, certaines plus ludiques que d’autres, rehaussées par une pointe d’humour relayée par les titres. D’autres encore évoquent les états d’âme de la femme ou les conflits larvés d’un couple.
Un nouveau style, confirmé par l’adoption d’une nouvelle signature « V’ Cau », un nouvel univers, plus prosaïque, certes mais tout aussi fascinant ; ces nouvelles exécutions sont autant de variantes de la démarche de l’artiste ; pour elle, la créativité est affaire de spontanéité et si l’idée platonicienne prévaut, c’est bien le principe de la finalité sans fin qui crée l’œuvre sans que l’artiste en soit consciente, au point qu’elle s’étonne toujours du résultat, comme si elle découvrait une altérité qu’elle n’avait pas soupçonnée. Quelques soient les circonvolutions que suivra l’œuvre de Véronique Cauchefer, gageons qu’elle restera fidèle à l’authenticité de son geste pictural, car c’est bien là que réside la marque de son talent !
Bénédicte Auvard
















































































































































